La Lombardie est un grand royaume humain indépendant, situé au sud et à l’est des Cités-États de Tarascon. C’est un pays rural, plutôt paisible, qui repose sur un système féodal. La majeure partie de l’île est vallonnée, recouverte de champs, de pâturages et d’immenses forêts giboyeuses. Quelques longs canyons creusés par le lit d’anciennes rivières et désormais recouverts d’une végétation luxuriante s’étendent à travers le cœur de l’île. De nombreux sentiers tracés par les bergers traversent les prairies alpines, et il faut être natif de la région pour ne pas se perdre tant les paysages peuvent être parfois similaires. Heureusement, pour qui est bon observateur, quelques massifs montagneux érodés par le temps servent d’excellents points de repère.
L’île est connue pour ses richesses minérales sous-exploitées, ce qui en d’autres temps avait naturellement attisé la convoitise des Nains. Des légendes locales racontent comment jadis les premiers seigneurs humains leur disputèrent ces terres et narrent les exploits de ces nobles chevaliers de Lombardie qui boutèrent les fils d’Yjdad hors du pays. Mais la vérité est tout autre : en effet, les Nains établirent d’importantes colonies et édifièrent même les bases d’une Forteresse-État dont il ne reste aujourd’hui que quelques ruines éparses. Cependant, s’ils quittèrent cette île, ce fut non pas sous la pression des hommes, mais pour venir en aide à leurs frères d’orient, engagés dans une des plus terribles guerres qu’ait connue ce peuple.
Aujourd’hui, la richesse de l’île vient principalement de ses terres arables. Le climat est plutôt doux et les saisons sont bien marquées, propices à la plupart des cultures ainsi qu’à l’élevage. On y produit d’ailleurs des vins goûteux, des tonnes de céréales et des milliers de têtes de bétail qui sont exportés par-delà ses frontières, faisant la richesse de certains seigneurs locaux et des avides négociants étrangers avec lesquels ils traitent.
La Lombardie est majoritairement peuplée d’Humains, mais on y trouve aussi quelques communautés naines, ainsi que des clans orcs et gobelins isolés dans les montagnes ou au cœur des massifs forestiers. Ces derniers ne causent pas réellement d’ennuis tant que les Hommes ne viennent pas leur chercher des noises. Le souci avec les culs-verts, c’est que lorsqu’ils sont bien établis et sans ennemis à proximité avec qui se foutre sur la gueule, ils se mettent à forniquer avec la même frénésie que des lièvres en rut. Résultat des courses, comme ils ne sont pas des fermiers dans l’âme et se sustentent principalement grâce à la chasse et la cueillette, leurs ressources de proximité, pourtant abondantes, finissent inévitablement par s’épuiser. La surpopulation pousse les plus jeunes, en quête de nourriture, à se regrouper pour marauder sur les terres des seigneurs lombards. Aucun fief n’est à l’abri de voir une marée de culs-verts déferler à un moment ou un autre. Les seigneurs humains ont beau leur opposer leur ost mené par d’intrépides chevaliers, cela reste parfois insuffisant. Il n’est pas rare que le roi lui-même fasse appel à des compagnies de mercenaires extérieures au pays pour réduire drastiquement les populations orques et gobelines qui troublent son royaume. Quant aux Elfes, ils se font rares et ne sont souvent que de passage. Il y a aussi plusieurs races de Trolls peuplant les endroits les plus reculés de l’arrière-pays, qui font des trophées de choix pour les chevaliers lombards avides de hauts-faits.
L’actuel roi de Lombardie n’est pas connu pour être un foudre de guerre et sa fonction première est d’arbitrer les nombreux conflits qui éclatent entre ses différents vassaux. En permanence sur le fil du rasoir, il n’a d’autre choix que de jouer des dissensions entre nobles, poussant constamment le jeu des querelles et des alliances, dans le but d’affaiblir les seigneurs trop ambitieux ou au contraire de renforcer le pouvoir de ses vassaux les plus fidèles.
L’île est morcelée en une multitude de fiefs et la qualité de vie fluctue selon le caractère du seigneur local. Certains agissent en véritable tyrans et considèrent leurs sujets comme leur propriété, les reléguant à une vie de servitude proche de l’esclavage. Tandis que d’autres, profondément bienveillants, se considèrent comme des serviteurs du peuple et assurent sécurité, entraide, justice et éducation aux populations sous leur contrôle. Pour chaque citoyen de Lombardie, la vie est donc bien différente selon la seigneurie où il réside.
Le Nain Torun, célèbre forgeron de la légion de Fer, passera sa jeunesse avec son grand-père ainsi que ses deux sœurs au sein d’une communauté naine établie sur les terres d’un petit seigneur de Lombardie du nom de Reyvan, connu pour être un fumier notoire. C’est dans les environs de la fosse des Shirans que le jeune Torun fera la rencontre de Redwin qui s’est retiré du monde, cherchant à fuir la folie que lui évoque le souvenir de sa défunte épouse Enïme. Une rencontre qui bouleversera ces deux âmes meurtries.
Sur le domaine du seigneur Reyvan se trouve une ancienne forêt qui borde la petite communauté naine où vivent Torun et sa famille. C’est dans ces bois que ce jeune Nain et son ami Humain Sarfan ont l’habitude de poser des collets. Une activité considérée comme du braconnage, mais qui, pour Torun, s’apparente à jouer à cache-cache avec le garde-chasse et à choper quelques bestioles pour mettre un peu de viande dans les navets. C’est au cœur de ces vastes étendues boisées de Lombardie que se trouve le lit asséché d’une ancienne rivière au sol limoneux et habituellement recouvert par la brume, que l’on nomme la fosse des Shirans. Toutes sortes d’histoires circulent sur cet endroit et, bien qu’il s’agisse probablement de balivernes destinées à tenir à distance les marmouses du coin, il s’y trouve des zones marécageuses dans lesquelles grouillent des bestioles dont il vaut mieux éviter la proximité. C’est près de cette rivière asséchée que le Nain Redwin, devenu un ermite fou cherchant à fuir le souvenir d’Enïme sa défunte épouse, établira sa cabane.
Les prairies verdoyantes des Prés aux Pierres sont situées en lisière des forêts de la Lombardie, comme un petit coin de nature paradisiaque. On peut y voir virevolter une multitude de papillons aux couleurs chatoyantes. C’est dans un de ces prés que le Nain Torun et son ami Sarfan ont pris l’habitude de se retrouver pour récolter des orties et des pissenlits, afin de nourrir les volailles.
Se trouvant légèrement au nord-ouest du centre de la Lombardie, ces terres arables et boisées sont le fief du seigneur Reyvan. Ce petit domaine abrite une cité fortifiée où s’effectuent la plupart des échanges commerciaux, au cœur de laquelle se trouve le château, demeure familiale des Reyvan. Aux alentours de la cité, on dénombre plusieurs villages humains de différentes tailles, quelques fermes isolées, ainsi qu’une communauté naine. Les bois alentours sont le domaine de chasse réservé du seigneur et son garde-chasse veille au grain. Ce fief vallonné trouve ses frontières au pied d’une modeste chaîne montagneuse d’un côté et se perd dans une grande forêt de l’autre.
Cet écrin de verdure, paisible et bucolique, pourrait être un endroit où il fait bon vivre. Mais comme la plupart des fiefs de Lombardie, la qualité de vie dépend du noble qui règne sur ces terres et l’ancien seigneur des lieux n’était pas connu pour sa grande mansuétude. Mesquin, menteur et sans grande compassion pour ses gens, il n’hésitait pas à abuser de la dîme. En secret, il commettait de nombreuses exactions sur les populations censées être sous sa protection, allant même jusqu’à brûler des fermes et massacrer les familles d’honnêtes paysans dans le but de s’approprier leurs terres fertiles.
Ses hommes de main massacrèrent d’ailleurs la famille de Sarfan, un Hum ami avec le Nain Torun. Le seigneur, héritier de la lignée Reyvan de l’époque, ira même jusqu’à accuser Redwin de ses méfaits, pour ne pas s’attirer les foudres de la légion de Fer, mandatée dans le secteur par le roi de Lombardie pour faire la chasse aux hordes gobelines sévissant dans la région. Il fera également assassiner le grand-père du jeune Torun, avant de se lancer aux trousses du gamin. Torun étant devenu un témoin gênant, Reyvan finira par l’embrocher de son épée. Cependant, cette blessure étant apparemment insuffisante, il tentera de lui porter un coup fatal. Mais ce sera compter sans la bonne étoile du jeune Nain, puisque Redwin décapitera cet Humain félon avant qu’il ait pu mettre son plan à exécution.
Depuis, cette seigneurie a retrouvé un peu de quiétude, mais jusqu’à quand ? Les histoires sur les races anciennes, colportées par les Ménestrels, attisant la haine de leur auditoire Humain partout en Terres d’Arran, pourraient bien à nouveau troubler la tranquillité de ce modeste territoire.
Après la guerre des Goules, le tribunal d’Ellendor – haute cour de justice ou siègent les juges Elfes des Terres d’Arran – reconnut, suite au témoignage de l’Elfe bleue Lanawyn, que sans le célèbre Mage Slovtan, la Nécromancienne Lah’saa n’aurait jamais commis de tels actes de barbarie : « Il est lui-même à l’origine de tout ! » C’est ce que déclarèrent les juges elfiques au terme de plusieurs jours de procès. Slovtan fut alors conduit et écroué à la prison pour Mages de Taalandar.
Les révélations faites lors de ce procès retentissant mirent en exergue le rôle prépondérant de la magie dans cette guerre, qui mena une partie des contrées d’Arran aux portes de l’anéantissement. La conséquence la plus notable fut la réunion, quelques mois plus tard, des seigneurs humains les plus importants des Terres d’Arran, lors de ce que l’on nomme le concile des Cent. Ils déclarèrent alors la magie trop dangereuse pour être laissée aux seules mains de quelques êtres libres et déliés de toutes obligations, et promulguèrent une loi exhortant les Mages à se recenser et à travailler pour les royaumes et seigneuries humaines auxquelles ils avaient été préalablement attribués.
Pour assurer et contrôler l’application de cette loi, un ordre fut créé : l’ordre des Ombres. Une poignée de Thaumaturges parmi les plus puissants des Terres d’Arran en sont les Hauts-Maîtres et ils dirigent une élite de Mages que l’on nomme Connétables. (Il est bon de noter que les Hauts-Maîtres sont eux aussi des Connétables.) Ceux-là sont le bras armé de l’ordre et par extension, celui de la pléthore de seigneurs humains favorable à la loi. Désormais tous les pratiquants de la magie sont forcés de mettre leurs talents au service d’un royaume et leur asservissement est scellé dans un unique grimoire par de puissants sortilèges faisant appel aux quatre voix de magie. Il existe quelques exceptions, comme dans l’empire de Dumn où l’empereur Alidyan n’a toujours pas ratifié le traité du concile des Cent, mais cela reste anecdotique et ce dernier commence d’ailleurs à réviser sa position. Il est probable que l’influence grandissante du Connétable Dolrius, missionné par l’ordre des Ombres pour le conseiller, n’y soit pas étrangère.
Les Mages qui refusent de se soumettre à cette loi sont des parias, des fugitifs qui sont sans cesse traqués par l’ordre et qui finissent bien souvent emprisonnés ou, selon les cas, exécutés ! Les Connétables n’ont pas seulement pour rôle de pourchasser les rebelles, ils doivent aussi surveiller leurs congénères, faire des rapports détaillés sur leurs activités et être des émissaires de l’ordre auprès des puissants nobles des Terres d’Arran. Ils reçoivent également les doléances et font respecter la loi quoi qu’il en coûte.
Pour accueillir cet ordre nouvellement constitué, il fallait un lieu symbolique, de nature à recevoir des centaines de Mages et leurs apprentis, un endroit qui réponde aux critères des Hauts-Maîtres, principalement en matière de taille, d’autonomie, de sécurité et d’énergie tellurique… Plusieurs lieux furent évoqués, mais très vite rejetés, comme le monastère des Drahanan, idéal en théorie, mais qui n’était accessible qu’une fois l’an, ou la cité de Majinorr bien connue des adeptes de la magie, mais trop exposée et située dans un empire n’ayant pas ratifié le traité du concile des Cent… Les différents lieux possibles furent évoqués l’un après l’autre et aussi vite rejetés pour une raison ou une autre. Les Hauts-Maîtres s’arrachaient les cheveux pour trouver cet endroit idéal, ce qui amusa beaucoup l’excentrique Mage Borogarion qui connaissait déjà la réponse. Il égayait de ses saillies verbales l’austère auditoire, évoquant par énigmes l’emplacement où fatalement s’établirait l’ordre des Ombres. Seul l’Alchimiste Séméliane comprit où Borogarion voulait en venir avec ses fichues paraboles, car elle était personnellement visée. Pourtant elle lui opposa un mutisme à toute épreuve, ponctué de regards noirs qui auraient glacé d’effroi le plus intrépide des chevaliers lombards. Mais à ce jeu nul n’était aussi habile que le vieux Mage et au bout d’un moment, elle finit par rendre les armes et grommeler le nom de sa forteresse familiale. Borogarion, satisfait, joua les surpris devant un auditoire qui n’était point dupe et s’exclama : « Pourquoi n’y avons-nous pas pensé avant, mes amis ? Voilà bien un logis digne de nos appétits ! » Pour les Hauts-Maîtres qui connaissaient l’endroit, ce fut comme une évidence. D’autres, à bout de patience, auraient accepté n’importe quel site pour mettre un terme à ce débat. Quant à ceux qui n’étaient pas vraiment convaincus, ils craignaient trop de se mettre à dos l’imprévisible Borogarion pour s’opposer à cette idée.
Devant l’insistance de ses pairs, Séméliane n’eut d’autre choix que de céder sa demeure familiale à la cause, pour une somme tout de même indécente. Une fois l’accord signé, les connétables s’y rendirent sans perdre un instant. Ils lancèrent de grands travaux pour façonner toutes les ailes de la forteresse selon les exigences des Hauts-Maîtres. Ce lieu avait le potentiel pour incarner le futur de l’Ordre, mais sa taille colossale avait forcé les anciens propriétaires à ne réhabiliter qu’une petite partie des bâtiments. Certains endroits restaient interdits car corrompus par d’anciens sortilèges mortels, alors que d’autres tombaient en décrépitude simplement par manque d’entretien.
Devant l’urgence et l’ampleur de la tâche, les Hauts-Maîtres exigèrent que le célèbre Mage bâtisseur Equalarius, de la voie Runique, supervise le chantier. En plus d’une liste infinie de rénovations, d’aménagements et de protections magiques, ils ne lui donnèrent qu’un temps restreint pour achever les travaux. Equalarius y laissa sa santé, mais il réussit en moins d’une année à achever une œuvre qui aurait dû prendre de nombreuses décennies. Pour cela, il put s’appuyer sur une armée de Mages, les meilleurs architectes et contremaîtres, ainsi que sur des milliers d’ouvriers bâtisseurs venus des quatre coins d’Arran. Une partie de cette main-d’œuvre fut téléportée sur place par quelques Mages Élémentalistes ayant cette rare capacité. Sans compter qu’il n’avait pas à se soucier des sommes astronomiques englouties dans le projet, puisque tout cela était financé par les plus riches seigneurs humains présents lors du concile des Cent.
Equalarius cassa sa pipe la veille de la fin du chantier et il n’assista jamais à la cérémonie de pose de la dernière pierre. On mit cela sur le compte de l’épuisement et de l’abus de substances alchimiques censées le revigorer. Mais certains se demandent encore s’il n’avait pas été empoisonné, emportant ainsi dans la tombe la connaissance d’aménagements magiques et de passages secrets exigés par quelques Hauts-Maîtres.
Une fois les travaux achevés, l’ancienne demeure familiale de Séméliane fut officiellement renommée la « forteresse des Ombres », en référence à l’ordre éponyme qu’elle allait abriter. Elle incarne désormais toute la majesté et la puissance des Mages qui y résident. Elle s’élève sur un îlot rocailleux, au milieu de grèves immenses soumises au va-et-vient de puissantes marées. En de rares circonstances, les flots se retirent, entraînés par l’influence lunaire, et découvrent une langue de terre limoneuse qui relie l’îlot aux berges du sud-est de la Lombardie. Alors, le sol de la anse se mue en sables mouvants, et on dit même que sous la surface de cette fange se dissimuleraient des créatures associées à la non-vie. Quoi qu’il en soit, c’est un écueil mortel et il vaut mieux lui préférer le long pont de pierre rénové qui enjambe la baie.
Les bâtiments qui dominent les lieux alentour n’ont de forteresse que le nom. De par leurs dimensions et leur aspect, ils forment plutôt une cité fortifiée au sévère accent monacal. Les constructions sculptées sont ancrées à leur base sur les solides et anarchiques fondations du piton rocheux. Elles s’étendent fièrement sur une kyrielle de niveaux à travers toute l’île et des ponts audacieux lancent leurs arches de pierre vers de hautes tours majestueuses, exposées aux vents violents venus de l’océan. Les édifices principaux recouvrent le centre de l’îlot rocheux sur une vaste zone arasée, dans un enchevêtrement désordonné de bâtiments de tailles et de hauteurs diverses. Ils se dressent fièrement au milieu de la baie, leurs cimes pointées vers le ciel, dominant un dais de brouillard. Cette masse impressionnante fait écho aux atours d’une cathédrale gothique. Une architecture unique pourvue de nefs, de coursives, de cours et cernée de parapets, qui côtoie les chemins de ronde surélevés qui, bien souvent, donnent sur des tours de garde. Les façades se parent de vitraux allant de l’austère au chatoyant, selon le type de bâtiment qu’elles embrassent. D’impressionnantes gargouilles, alanguies par l’ennui, habillent les murs extérieurs de leurs faces monstrueuses. Selon une vielle comptine, elles ne seraient pas que de simples gargouilles, mais des golems de pierre endormis, attendant la symphonie de l’orphéon magique pour sortir de leur torpeur et combattre un quelconque envahisseur.
Malgré les nombreuses reconstructions qui ont façonné l’actuelle forteresse des Ombres, le noyau primitif des bâtiments ancestraux demeure encore perceptible par endroits. Mais c’est lorsque l’on s’enfonce dans les souterrains que les reliques architecturales des premiers bâtisseurs sont les plus visibles. Un véritable réseau de galeries, dont beaucoup n’ont toujours pas été répertoriées, forment un labyrinthe où l’on peut facilement se perdre et mourir d’inanition. Ces tunnels mènent à une multitude de cryptes, de catacombes et de cavernes obscures sculptées à même la roche. On pense qu’il y a encore des trésors à découvrir et des savoirs oubliés sans doute dissimulés dans des cavités, mais ce qui est certain, c’est que ces tunnels recèlent encore des créatures mortelles et d’anciennes malédictions probablement encore actives. Lors des travaux, une bibliothèque abritant des grimoires datant d’un autre âge de ce monde fut mise à jour dans les souterrains. Une fois les sortilèges de protection levés, les Mages s’emparèrent de ces ouvrages, qui tombèrent aussitôt en poussière dans leurs mains. Un mois plus tard, ce fut au tour d’un groupe d’Alchimistes, explorant un souterrain, de se retrouver nez à nez avec un prédateur des cavernes. Pour ces pauvres bougres, la rencontre fut mortelle, et il ne fallut pas moins de trois connétables pour traquer la bête et en venir à bout. C’est pour cela que la plupart des galeries ont été condamnées et que les Mages utilisent principalement l’immense puits pourvu de monte-charges qui traverse l’éminence rocheuse jusqu’au niveau de la mer. Car à cet endroit se trouvent deux choses fort utiles : un lac d’eau douce souterrain et un port intérieur, dont l’entrée est dissimulée par une illusion qui laisse penser que l’on va s’écraser sur les brisants. Ce débarcadère atypique n’est accessible qu’à marée haute et il faut un Mage pour guider les capitaines de navire à travers l’illusion magique.
La forteresse des Ombres est donc accessible par voie terrestre grâce au pont qui la relie aux berges du Royaume de Lombardie, par voie maritime avec son port caché, mais aussi par voie aérienne avec ses esplanades conçues pour accueillir les dragons et autres créatures volantes. D’ailleurs, une des plus hautes tours, proche de la grève, que l’on nomme la volière, a été pourvue de plusieurs dizaines de stalles accueillant des volants (sous-espèce de dragons domestiquée), utilisés fréquemment par les connétables pour se déplacer partout où leurs missions les mènent.
Les bâtiments principaux comptent des centaines de pièces de tailles et d’allures diverses. On y trouve des ateliers, des forges, des laboratoires alchimiques, des bibliothèques, des ménageries, des serres, ainsi que tous types de salles d’entraînement, que ce soit aux armes ou à la magie et même deux prisons… Bien entendu, l’endroit abrite aussi son lot de chambres, de suites, d’espaces privés, d’études, ou de cuisines… Il se concentre ici tout ce qui peut être utile à la pratique de la magie et aux besoins vitaux des résidents. Mais ces lieux restent volontairement austères, obligeant les Mages à une vie ascétique et dédiée à la cause. Les Hauts-Maîtres ainsi que les connétables, haut placés dans la hiérarchie, sont les seuls à disposer d’appartements privés. Ils ont pu les aménager selon leurs désirs et les ont abondamment pourvus de pièces secrètes, pouvant cacher leurs laboratoires, leurs bibliothèques, ou leurs collections d’artefacts aussi rares que dangereux. On dit même que certaines de ces pièces seraient façonnées magiquement, rappelant la méthode utilisée par l’abbé Abeyrian pour créer l’acropole du monastère des Drahanan.
Les déplacements dans la forteresse sont restreints selon le grade du Mage et l’école de magie à laquelle il appartient, et des gardes veillent au grain. Il y a bien entendu des parties communes accessibles à tous, mais certaines ailes de la forteresse ne sont autorisées qu’aux pratiquants d’une voie spécifique de magie et à eux seuls. Ainsi il y a le quartier des Nécromanciens, celui des Alchimistes, celui des Mages Runiques et celui des Mages Élémentalistes. Enfin, il existe des zones qui ne sont accessibles qu’aux Hauts-Maîtres, ou éventuellement à des connétables escortés par ces derniers, et les rumeurs vont bon train sur le sujet. Ces lieux abritent les plus grands secrets de l’Ordre et sont défendus à la fois par des gardes-Mages, en faction à toute heure du jour et de la nuit, et par différentes protections magiques faisant appel aux quatre voies de l’art. On dit que dans ces endroits sont cachés les ouvrages interdits et les artefacts les plus puissants de l’Ordre. C’est aussi là qu’est entreposé le « Grimoire des Serments », l’ouvrage dans lequel est scellé par magie le serment des Mages dévoués aux seigneurs qu’ils doivent servir. Tout bon thaumaturge possède un goût prononcé pour les secrets, cela en est même parfois maladif chez certains individus. Il n’est donc pas étonnant de constater que la forteresse des Ombres abrite certainement le plus grand nombre de passages secrets et de lieux mystérieux recensés dans les Royaumes Humains. Seules certaines antiques structures naines ou elfiques peuvent rivaliser avec cette dernière.
Si aujourd’hui la forteresse des Ombres est connue et redoutée par tous les pratiquants de la magie des Terres d’Arran pour incarner la puissance de l’ordre éponyme qu’elle abrite, il n’en a pas toujours été ainsi. Il y a plusieurs siècles de cela, elle n’apparaissait ni sur les cartes, ni dans le paysage. L’endroit était brumeux et, de la côte, on ne voyait que l’océan à perte de vue. Une zone évitée par les navires, car au dire des marins les lieux étaient maudits et, de toute façon, impraticables en raison de la brume, des récifs mortels et des serpents de mer nidifiant dans les environs. Jusqu’au jour où l’illusion magique nimbant les lieux finit par se dissiper. Deux enfants assistèrent à ce miracle alors qu’ils ramassaient des palourdes à marée basse. Ils foncèrent jusqu’au village, fiers de leur découverte. Bien entendu, les braves gens du coin pensèrent à une mauvaise farce, mais devant l’insistance des bambins, connus pour être de bons gamins, des villageois allèrent vérifier par eux-mêmes. Très vite, la nouvelle de cette apparition vint aux oreilles du seigneur local. Il organisa différentes expéditions, mais presque tous ceux qui essayèrent de se rendre sur l’îlot moururent en tentant d’y accéder et les rares qui réussirent à y poser un pied disparurent à tout jamais en s’enfonçant dans les ruines de la forteresse.
Deux pisteurs Elfes blancs de passage dans la région eurent vent de cette découverte et se rendirent au plus vite sur place à dos de dragon. Contrairement à ceux qui les avaient précédés, ils bénéficiaient d’un savoir ancestral, d’une pratique martiale aiguisée par des siècles d’entraînement, ainsi que d’une maîtrise implacable de la magie Élémentaliste. Les deux Maîtres Pisteurs déjouèrent les pièges et les anciennes malédictions. Ils combattirent des créatures oubliées et passèrent de longs mois à explorer ces ruines hostiles. Peu à peu, ils découvrirent que ces vestiges dataient de la fin de ce que l’on nomme l’Âge des Légendes : ils étaient probablement les dernières reliques d’un avant-poste d’une race dont le nom a volontairement été banni des livres d’histoire. Un peuple maudit que les premiers Elfes avaient combattu dans le plus grand conflit qu’ait connu le monde d’Aquilon. La magie dissimulant l’endroit avait fini par s’étioler au fil des millénaires, ce qui expliquait l’apparition récente et inattendue des ruines. Après avoir exploré la surface, ils s’enfoncèrent dans les labyrinthes souterrains, et mirent à jour des cryptes regorgeant d’antiques artefacts. On ignore ce qu’il se passa ensuite mais l’un des Elfes disparut. Quant à l’autre, il ne fut plus jamais le même. La folie s’empara de ce malheureux et, peu à peu, il se mua en monstre, sans doute possédé par le fantôme d’un des représentants de cette race éteinte. L’Elfe blanc n’était plus ! Seule subsistait une créature de cauchemar qui s’appropria ce domaine, utilisa la magie pour reconstruire la forteresse et releva une cohorte de trépassés pour l’aider dans sa tâche.
Le mal finit par s’étendre au-delà de l’île, touchant les villages côtiers. Lors des nuits sans lune, les habitants des environs disparaissaient sans la moindre explication. Le roi de Lombardie finit par prendre le problème à bras-le-corps et leva ses osts. Avec son immense armée, il tenta d’annexer ce petit territoire insulaire. Le nouveau maître de la forteresse leur opposa des pouvoirs terrifiants, ainsi qu’une cohorte de monstres et de non-morts. Les combats furent épiques : si à la faveur du jour l’armée de Lombardie arrivait à progresser, dès la nuit tombée les hommes se faisaient massacrer. En moins d’une demi-lune, les osts humains furent anéantis et le roi de Lombardie trouva la mort le dernier jour des combats.
Suite à ça, le prince héritier décréta le secteur interdit à la population. Pendant des décennies, il engagea des Mages et des mercenaires aguerris, prêt à offrir à quiconque lui ramènerait la tête du seigneur régicide une partie de son trésor. Le temps passa, un Roi succédant à un autre, sans que nul ne réussisse dans cette quête. Jusqu’au jour où une célèbre famille de Mages – les Ëwejelle qui officiaient à Majinorr – s’exila en Lombardie, terre de ses ancêtres, pour fonder une nouvelle école de magie. Cette famille demanda audience au père de l’actuel roi et elle proposa au monarque de lui ramener la tête du monstre en échange d’un titre de seigneur et de la propriété de l’îlot et des terres environnantes. Un pacte fut scellé et le roi adouba le patriarche de cette famille. Ils étudièrent durant de long mois la moindre information sur la forteresse, établirent des plans et préparèrent leurs forces. Les Ëwejelle étaient issus d’une longue lignée de Mages qui avait formé une pléthore d’apprentis et rendu de nombreux services aux membres de leur communauté au fil du temps. Ils firent donc appel à leurs alliés et anciens élèves de par le monde. Le patriarche fit jouer ses relations pour obtenir une entrevue avec la redoutable confrérie chimérique, et négocia leur aide.
Après de longs préparatifs, ils attendirent le solstice d’été, jour le plus long de l’année, pour attaquer. Dès l’aube, une dizaine de Nécromanciens lancèrent l’assaut opposant une horde de goules et d’invocations démoniaques aux cohortes de monstres et de non-morts du maître des lieux. Comme prévu, les troupes des Nécromanciens finirent par être refoulées, mais elles avaient rempli leur mission : tester les défenses et attirer l’attention de leur ennemi. C’est alors que les unités des Mages lancèrent la seconde vague avec la puissante famille Ëwejelle en tête.
Au milieu de la journée, les Mages comptaient peu de pertes dans leurs rangs, car ils sacrifiaient leurs golems et homoncules en première ligne pour exposer l’assaillant, préservant ainsi le plus de vies humaines possible. Le combat semblait gagné et les Mages progressaient par petits groupes de bâtiment en bâtiment, anéantissant toute menace sur leur passage. Mais lorsque qu’une équipe finit par débusquer leur véritable ennemi, l’ancien Elfe blanc qui s’était mué en une créature indescriptible corrompue par la plus sombre des magies, ses membres connurent un sérieux revers. Le monstre invoqua des titans tentaculaires venant d’un autre plan d’existence et finit par reprendre l’avantage. Lorsque le soleil commença à se coucher, les forces des Ëwejelle se regroupèrent au cœur de l’île, se protégeant à l’aide de champs de force. Une partie des Mages était concentrée sur les défenses, tandis qu’une autre tentait de révoquer les calamités déchaînées par l’obscur seigneur des lieux.
Au crépuscule, alors que les ténèbres s’étendaient sur toute l’île, d’étranges créatures volantes semblables à des dragons aux crânes transpercés d’une énorme cavité, chevauchées par des hommes et des femmes aux visages masqués, firent leur apparition. Ils serpentèrent à travers les immenses tentacules venus du ciel et fondirent sur le monstre. La Confrérie Chimérique entra enfin dans la partie avec toute l’efficacité et la puissance qu’on lui connaît. Les sorts se déchaînèrent et le ciel, transcendé par toute cette énergie magique, s’enflamma de l’éclat d’une aurore boréale. Les puissants Alchimistes de la Confrérie encerclèrent le monstre et libérèrent les enfers. Le combat fut une fois de plus épique et c’est le puissant Mage que l’on nomme Triste-Sourire qui acheva la bête.
Suite à cela, le roi de Lombardie tint sa promesse et la puissante famille Ëwejelle et ses élèves prirent définitivement possession de la forteresse et de ses secrets. Jusqu’à ce que, quelques décennies plus tard, l’héritière Ëwejelle, Dame Séméliane, finisse par accepter, quelque peu contrainte, de la céder à l’ordre des Ombres.